photos Jean Foucault
Voilà un bestiaire peu ordinaire. Il est constitué d’un ensemble d’animaux « porte-plumes » triés sur le volet, que son auteur nous présente dans un sommaire classé par ordre alphabétique comme s’il voulait bannir toute hiérarchie dans ce genre à part qui échappe à la pesanteur. Le résultat de son choix nous met en présence d’oiseaux plus ou moins familiers et ce, avec une sûreté d’évocation où l’histoire naturelle s’efface au profit du rêve et du fantastique.
Nous sommes en présence d’un amateur authentique dont la démarche a peu à voir avec celle de l’oiseleur, grand amateur lui aussi mais à quel prix ! Ici, pas de piège, pas de cage, l’oiseau est dans son élément, à distance respectable.
Pour arriver à cette complicité, à cette fraternité avec ces êtres vivants si proches et si lointains et pour la mériter et nous la faire partager, il faut à notre homme cette folie raisonnable faite de patience et d’amour, de constance et de ferveur, qui mène à l’extase de la contemplation.
C’est à travers les rencontres avec « ses » oiseaux qu’on découvre la personnalité de Manuel Van Thienen : son appréhension sensible du paysage, son fidèle compagnonnage avec ces virtuoses de l’espace, ses interrogations face à leurs tribulations. Il nous révèle que leur présence date de bien « avant Dieu et les hommes » dans un monde où le piaillement du moindre passereau nous rappelle « qu’il ne faut pas douter des utopies », dans un monde où, bien avant toute civilisation, « il y avait des arbres. »
Ce lent cheminement vers nos frères ailés, si fragiles et si forts, nous est transmis par le biais des mots simples d’une belle prose poétique faite de retenue dans l’émotion, avec une sobriété d’expression et une précision dans le détail qui font mouche (le bec trop lourd, sanglé, du flamand rose - la plume du faisan dans la boue d’une empreinte de pied - le couvercle de fer transformé en piscine pour les moineaux…).
Ce long voyage initiatique au pays des oiseaux, observés « jusqu’à ce qu’ils se confondent avec les taches du fond de « l’œil », permet à l’auteur d’affirmer qu’« ils veillent sur nous », qu’« ils protègent nos rêves ». Et d’évoquer, avec les étourneaux, « l’encre sympathique du ciel » et la révélation du message « pour qui sait lire l’obscur ». Ou encore de discerner, le « hululement à haute tension » du grand duc et les jacassements des pies qui, « si elles le voulaient, vous parleraient d’avant les murs. »
Bel encart dans l’inventaire aérien du poète avec ses oiseaux venus de l’imaginaire et des rêves ou du pays de l’enfance, dans les textes « premier oiseau » (celui d’Antoine), « oiseau invisible » et « oiseau sans nom ». Ces oiseaux-là, dont on souhaite souvent en vain l’apparition, sont pour le moins dans la mémoire de chacun de nous, parfois très lointains et comme inaccessibles, parfois si précis et si proches qu’on craindrait presque qu’ils disparaissent.
Je n’oublie pas, non plus, la fascination des chasseurs, en déplorant avec l’auteur qu’ils aient besoin d’un fusil. Autre fascination, celle du chat qui « guette l’aubaine » et à qui le merle échappe en lui laissant le goût de plumes de sa queue.
J’ai dans les yeux encore ces belles images de rapaces surpris au grand jour ou débusqués à « l’heure fugitive où s’accouplent le jour et la nuit », seigneurs de la haute voltige à qui « le ciel appartient » et que « le béton désole ».
Merci à Manuel Van Thienen de savoir nous emmener « là où personne ne va » comme l’écrivait Jean Giono. Après nous avoir fait prendre de la hauteur et fait partager ses rêves, il nous faut, hélas, redescendre et retrouver, malgré nous, le plancher des vaches mais le voyage vaut le détour. En relisant la dernière phrase de son texte « grand corbeau », je me surprends à écrire comme lui : depuis, j’ai repris la route des hommes.
Jean-François Lavallard
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