La Ruche bourdonne

A la genèse « Ecrire par devoir de mémoire » de Fest´Africa. J´avais alors écouté chanter Florida Uwera, entendu parler Kalisa Rugano, vu peindre Binamungu Epa. J´avais aussi visité les champs d´hécatombes, rencontré la désolation dans les milles regards que je croisais. Alors j´avais fait miennes ces paroles de A. Césaire :

« Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l´attitude stérile du spectateur, car la vie n´est pas un spectacle , car une mer de douleurs n´est pas un proscenium, car un homme qui crie n´est pas un ours qui danse... »...

Et pour viatique cette autre parole : celle de Jacques Roumain : « Maintenant que l´eau va arroser la plaine, qu´elle va couler dans le jardin, ce qui était ennemi reviendra ami, ce qui était séparé va se rejoindre et l´habitant ne sera plus un chien enragé pour l´habitant. Chaque nègre va reconnaître son pareil, son semblable et son prochain et voici le courage de mon bras ; s´il te fait besoin pour travailler ton jardin et tu frappes à ma porte ? Et je te réponds : respect frère. Entre et assieds-toi, mon manger est prêt, mange et de bon coeur.

Au début c´était une espèce de folie douce : impulser l´activité artistique créatrice au sein d´ une université, un univers plu tôt enclin à la spéculation qu´à la folie artistique. Le CUA naît...avec dans sa poche kangourou les ateliers de formation « Arts Azimut ». Faire en sorte que des artistes rwandais : comédiens, musiciens, danseurs, plasticiens, poètes, cinéastes, rencontrent dans un espace de formation en atelier l´opportunité du partage du soi-même enraciné dans une identité forte avec l´autre soi-même nécessairement en confection, nourri dans son altérité par les autres. Débuts hésitants...

Puis ce fut une folie rageuse fortement soutenue par les rêves têtus d´Emile Rwamasirabo , la force suggestive d´Alice Karekezi , l´espérance tranquille de Valentine Rugwabiza , la complicité constructive de Thierry Mesas, la foi et le talent de certains étudiants et artistes qui percevaient de façon distincte l´importance de la culture et des arts dans la confection de leur identité singulière et commune, la reconfection des sensibilités après l´innommable tragédie... Des partenaires, des ministères, des ambassades, nous apportèrent leur force...

Cinq ans déjà ! Je suis invité... juste pour regarder, sentir, vivre ces moments.

Aujourd´hui « Arts Azimuts », ce festival annuel de la formation-rencontre-création a fait rhizome : une « Quinzaine de la Francophonie » lui répond en écho, soeur jumelle, dans une espèce de fusion de credo : celui d´élargir le champ des rencontres et d´élever et toujours vers les azimuts la vision des artistes tous confondus, stylistes et designers.

Jacques Bonnaval, le directeur du CCFER court dans tous les sens entre ses bureaux, sa salle de spectacle, sa cafete. Sous les arbres, dans la cour, guidés par Bruce Clark et Clifford Charles, les peintres sculpteurs massacrent à coup de marteau les carcasses d´ordinateurs et de radios ramassées sur les tas d´ordures...Par la magie de leurs mains ils en font des créatures de rêves devant lesquels l´on ne peut que s´extasier. Dans une salle de lecture attenante à la bibliothèque, se coulent sur les pages et les écrans des mots de jeunes poètes racontant Kigali sous toutes les coutures, en haïku ou en poésie spatiale. Jean Foucault et Annabel Olivier, veillent et réveillent les muses ! Gigi l´éthiopienne dans la salle polyvalente remue ses stylistes et ça dessine, ça coupe, ça coud des robes de fées... Gilles Torjeman et sa bande de photographes mitraillent partout ...pendant que Check Diallo et Céline Savoye mènent sur Nyabugogo le groupe des designers. Ils se sont jurés de faire accoucher aux cornes de vaches et aux biseke d´autres formes, d´autres usages...proposer à l´objet d´artisanat d´art de nouvelles fonctionnalités, infléchir d´autres cambrures, d´autres allures.

C´est une ruche qui bourdonne et les abeilles ouvriers, soldats, sentinelles, servants, vont, viennent, se croisent, chacune attelée à sa tache dans la longue chaîne. L´abeille va butiner à la fleur dont elle fait un délicieux rayon de miel... pour les générations futures. Ici la reine mère s´appelle ARTE !

Koulsy Lamko

Initiateur des « Ateliers Arts Azimuts »

Koulsy Lamko est écrivain, chercheur en littérature (il vit actuellement à Mexico). Il a été résident au Rwanda durant 4 ans, à Butare, afin de mettre en place le Centre universitaire des Arts au sein duquel il a initié les Ateliers « Arts Azimuts »

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