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Article du 16 mars 2005
Kigali mot à mot, Atelier d´écritures
Le spatialisme est une démarche poétique qui consiste à considérer la place du mot et des caractères d´imprimerie dans l´espace de la page. Poésie visuelle et non sonore. Pour approcher « en acte » cette poésie on pourra prendre connaissance avec un intérêt l´ouvrage « Le spatialisme en chemin » de Pierre et Ilse Garnier, réalisé en 1990 aux éditions Corps Puce.
Après séquence de présentation de la démarche, les participants à l´atelier ont réalisé quelques oeuvres spatialistes, qui toutes tournent autour de la question du Rwanda. Nous proposons deux images de cette création :
Conversation
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Oxygène
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Ces « textes » d´un caractère très particulier ont été finalisés par Annabel Olivier.
Rencontre avec Guenet Fresenbet , styliste éthiopienne
Styliste éthiopienne, elle jouait, enfant, avec les cravates de son père, les vêtements de toute la famille. Au lycée un professeur d´arts plastiques la remarque pour la qualité de ses dessins. Elle aura l´occasion de partir alors au Etats Unis, afin de poursuivre des études dans une école des Beaux Arts (à 17 ans). Pendant toute cette période la fabrication de vêtement est un hobby. Cela lui permet d´être un jour remarquée par un couturier qui lui propose de travailler pour lui. Mais au bout de quelques semaines elle démissionne ne se sentant pas la hauteur. Il ne suffit pas en effet d´avoir de la créativité et savoir dessiner, il faut savoir gérer des paramètres aboutissant à la confection. Elle a 19 ans et engage alors une formation dans une école de stylistes.
Née dans une région désertique à l´Est d´Addis Abeba, elle arrive dans cette ville à l´âge de douze ans. Aujourd´hui elle y passe une grande partie de son temps mais a toujours des interventions aux Etats- Unis et dans d´autres pays du monde.
Dans l´atelier elle essaie comme Lazare Chouchou que nous avons aussi rencontré, de transmettre l´ensemble des données qui entrent dans le travail d´un styliste. Les stagiaires viennent presque tous du milieu des couturiers.
Lazare Chouchou
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Mboté Zao , chanteur congolais
(« Mboté » = « bonjour » en lingala, langue maternelle du chanteur Zao)
Le chanteur Zao avec un groupe d´enfants (environs de Ruhengeri)
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Zao parle le francophonais , qui nous apprend à dire « Bonjour » dans toutes les langues du monde. Car chaque pays évidemment a son francophonais à lui. Né au Congo-Brazzaville à Gomatsétsé, en 1954, donc au temps de l´A.E.F., Zao est donc inscrit à Nantes, au fichier central des français nés à l´étranger. Mais il revendique pleinement son identité congolaise et demeure dans son pays, à Brazzaville. Cela n´est pas de tout repos et en 1998, pourchassé comme tous les gens de son quartier, il a du fuir en forêt où il survécut durant un an avec sa famille. Cela n´aide pas au développement d´une carrière. La vie culturelle a pu reprendre (aucune aide publique), et en 2005 se tient à Brazzaville le 5ème FESTPAM, « Festival panafricain de musique ».
Zao était d´abord instituteur, à partir de 1980, mais il ne le restera que quelques années. Dans les propos qu´il tient entre deux chansons au cours de son spectacle il explique pourquoi il a quitté ce métier : avec ses élèves il attendait à l´aéroport, sous le soleil et pendant des heures, l´arrivée de l´avion présidentiel. Une fois l´avion atterri, le président ne venait même pas saluer la classe. Alors il a choisi un métier où il n´attend plus : ce sont les présidents qui viennent le saluer dans sa loge. Evidemment la réalité ne se limite pas à cela : dès tout petit Zao a dansé et chanté dans son quartier, participé à des concours régionaux, nationaux,... la musique a toujours accompagné sa vie.
Les thématiques de Zao visent juste pour parler avec beaucoup d´humour mais avec des mots, des phrases fortes, les maux qui frappent le monde. Il chante l´aiguille, ce petit instrument qui coud et recoud les habits déchirés par la guerre et la haine. L´aiguille ne peut pas coudre une bouche qui sent mauvais, une bouche qui ne dit pas la vérité. Dans Moustique il dénonce cet insecte qui frappe plus que le SIDA. En 1989 il obtenait le diplôme du « Génie de la Bastille », pour cette chanson Moustique qui connaît toujours un grand succès là où il passe et notamment au Rwanda.
Parmi les autres chansons qui ont ici un grand succès : Ancien combattant , qui met en scène un homme qui se présente sur scène en militaire. Il a fait la « guerre mondio », qui tue des gens de tous les pays (France, Allemagne, américains,... et Rwandais). Laisser les armes dialoguer, « c´est pas bon, c´est pas bon ». Si on laisse cela se faire, alors tout le monde sera « cadavéré » (un des termes souvent répétés dans la chanson : « cadavérés » les riches, les pauvres, il ne restera plus personne, ... )
Tout le monde aime cette chanson sauf quelques anciens combattants car Zao dit « moi pas besoin galons ». Et eux ils les revendiquent...
Le Corbillard est le seul « individu » sur terre qui soit pas corruptible : on a beau lui proposer de l´argent dans toutes les monnaies, le corbillard mène inexorablement au cimetière, l´homme qu´on lui confie.
Dans une autre chanson consacrée à Adam et Eve il accuse nos ancêtres de ne pas avoir bien choisi : pourquoi la pomme alors qu´il y avait au paradis terrestre tant d´autres fruits, le maracuja, l´orange, le fruit de la passion ? Oui vraiment c´est parce qu´ils ont mal choisi que la vie humaine s´est si mal engagée...
Zao vient pour la première fois au Rwanda mais tous les Rwandais connaissent plusieurs chansons de son répertoire qui passent à la radio. Zao aime les habitants du pays. Il regrette seulement qu´il n´y ait pas assez de joie, de danse, de musique et de tambours dans la ville.
Après un dernier concert à Kigali le 18 mars, il donne également son spectacle au Burundi à Bujumbura.
Atelier Art plastique
« Femme africaine », oeuvre de l´atelier Art plastique, « Recyclages ».
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« vaches rwandaises », oeuvre de l´atelier « Arts Plastiques ».
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Rencontre avec Clifford Charles, plasticien Sud-Africain
Bruce Clarke (plasticien), Clifford Charles (plasticien) et Guenet Fressenbet (styliste)
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Guénet Fresenbet (premier plan) et Lazare Chouchou
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Clifford a grandi comme enfant de l´apartheid, à Durban. Son père était enseignant et il a toujours insisté sur le travail et l´éducation pour s´en sortir. A cette époque il n´était pas acceptable qu´un Noir puisse faire de l´art. Certains membres de la famille désapprouvaient le choix artistique sur lequel il s´engageait. De cette époque Clifford garde à vif plusieurs images : ses grands parents obligés de déménager pour rejoindre une township, alors qu´il avait 5 ou 6 ans, le souvenir de son père, humilié parce qu´il avait voulu négocier le prix d´une paire de chaussures pour son fils.
A l´église, Noirs et Blancs étaient séparés. Une seule cérémonie dans l´année, à valeur symbolique, permettait de s´asseoir en principe où l´on voulait (mais chacun restait par groupe social).
Son père avait commencé des études scientifiques dans la seule université Noire autorisée alors (la FORHARE, qui devint le berceau de la Commission PanAfricaine , première étape avant la création du mouvement antiapartheid). Il dut interrompre ses études pour des problèmes financiers et c´est alors qu´il devint enseignant.
Un oncle de Clifford Francis Bonjay, militait dans les activités théâtrales à Johannesburg. Il l´invita à le rejoindre. Là Clifford rencontre des artistes blancs (aucun noir ne pouvait alors être artiste) qui l´encouragent à continuer. Il parvient à obtenir une dispense du gouvernement, en 1983, pour intégrer une université blanche et suivre un cursus dans le domaine artistique. Il ne pouvait loger sur le campus comme les autres étudiants mais faire des déplacements longs et coûteux. Il est hébergé chez son oncle et mène des ateliers artistiques avec les enfants des townships où son oncle intervient en théâtre. Il présente à l´université les oeuvres des jeunes, mais les professeurs considèrent que c´est de la propagande et non de l´art.
Clifford Charles et le mouvement auquel il appartenait étaient à la recherche d´un art en prise avec la société et de la création d´une esthétique africaine.
Après l´apartheid les questions posées sont radicales : refus du statu quo (le « centre » côté Noir aussi bien que Blanc s´entend sur la poursuite de la gestion du pays sans changement quand au fond du système), et critique des mouvements populistes (l´art ne doit pas être seulement « propagande »).
Il s´agit de trouver un nouvel ordre de création, des manières de travailler, dans les milieux populaires. La libération psychologique est un élément indispensable et l´apport de la création est en ce sens décisif. Ainsi comment travailler contre la violence ? En effet durant cette période la société devient « cannibale », opposant Noirs contre Noirs.
A travers des activités ludiques, il s´agit d´abord de donner sens à l´acte créateur. Penser à la rencontre de tous avec l´art est un acte politique.
En 1994 (fin de l´apartheid) il y avait beaucoup d´espérance : il y eut beaucoup de déceptions. On assiste alors à la normalisation politique de l´art. Beaucoup d´artistes blancs reprennent les thématiques à la mode : on enlève ce que l´artiste Noir avait vécu en le recyclant.
Aujourd´hui Clifford Charles travaille dans une démarche plus contemplative, sur les matières, sur des thématiques de paysages,...
C´est la première fois que Clifford intervient dans un pays francophone en Afrique centrale. La lutte reste toujours la même : permettre de construire ici un espace créateur, qui ne soit pas soumission à la mondialisation mais donne aux Rwandais la possibilité de prendre leur place dans le monde. ll faut que les artistes rwandais puissent représenter par l´art la vie sociale à transformer. Ainsi apporteront ils leur pierre à l´édifice commun bâti par les créateurs de tous pays.
En attendant, sous la thématique « Recyclage » les plasticiens rwandais travaillent avec les matériaux et objets les plus hétéroclites afin de nous présenter la diversité de notre rapport au monde.
Pour prendre contact avec l´oeuvre de Clifford Charles , un site : <http://www.cliffordacharles.com>
Entretien réalisé grâce à la traduction de Bruce Clarke, co-animateur de l´atelier « Arts Plastiques »
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